Lorsque j’ai rencontré Stephen Bonnessoeur dans son établissement de l’Aube, je me suis dit que j’avais loupé quelque chose en m’orientant vers un lycée général ! Directeur passionné du lycée agricole public Campus Terres de l’Aube, proche de Troyes, de Chaource et de la côte des Bar, celui-ci a la particularité d’avoir commencé sa scolarité… dans le lycée qu’il dirige aujourd’hui. Formant à plus de 200 métiers de l’agriculture, l’aménagement du territoire, l’environnement et l’équine, son lycée agricole de 2023 n’a plus rien à voir avec celui qui préparait les fils de cultivateurs à reprendre l’exploitation de leurs parents et les filles, à bien repasser et tenir leur place d’épouse, à l’école ménagère… Si Stephen Bonnesoeur mène cette mutation avec enthousiasme, celui-ci est lucide sur le manque d’attractivité perçue des métiers auxquels son lycée prépare. « Il ne faut pas se le cacher, le monde agricole est, soit complètement inconnu d’une population citadine qui n’est plus liée au secteur agricole depuis deux ou trois générations, soit celle-ci n’imagine pas que ses gamins puissent faire une carrière en agriculture. Il faut leur expliquer que c’est jouable ».

 

VD : Stephen Bonnesoeur, le lycée agricole que vous dirigez en quoi a-t-il changé précisément ?

« L’origine agricole est beaucoup moins significative qu’à une certaine époque. Quand je suis rentré en 1976 en seconde ici, il y avait trois filles pour trente garçons ! D’ailleurs, ces trois filles n’étaient pas obligatoirement d’origine agricole, mais 90 % des gars étaient fils d’agriculteurs. Aujourd’hui, c’est plutôt 50/50 de filles et de garçons. Néanmoins, dans la filière production, il reste une grande majorité de garçons. Et les origines sociologiques ont bien changé : nous avons dans le lycée moins de 8 % de nos élèves qui sont d’origine agricole. Ainsi, l’établissement compte encore moins de jeunes filles, issues du milieu agricole qu’il y a trente ans… »

VD : Votre établissement est particulièrement féminisé : de l’équipe de direction à celle des enseignants et la moitié des élèves en passant par la ferme de 800 brebis et 2 000 agneaux, dirigée par une jeune cheffe d’exploitation. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la féminisation en milieu scolaire agricole et rural ?

« En 2004, quand j’ai pris mes fonctions de directeur, j’ai trouvé des brochures où l’on indiquait que la viticulture n’était pas recommandée pour les filles ! Et comme il y avait très, très peu de jeunes filles dans l’établissement, j’avais un discours musclé à chaque rentrée : « Mesdemoiselles, vous avez un rôle extrêmement important, car vous êtes minoritaires : c’est celui de rendre les garçons intelligents et vous Messieurs, vous avez un rôle tout aussi important, c’est de faire croire aux filles que vous l’êtes ! » C’était une façon de rappeler aux garçons de ne pas jouer les gros bourrins, ce qu’ils avaient tendance à faire face à une minorité… et aux filles, affirmez-vous, affirmez-vous, car c’est important pour le collectif. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de faire çà… ce serait incongru, mais cela ne l’était pas il y a 15 ans…

Par ailleurs, la mécanisation a beaucoup contribué à rendre les métiers agricoles plus accessibles aux filles. En gommant une partie des activités qui font appel à la force physique, réputée masculine, la mécanisation est un accélérateur d’émancipation en agriculture.”

VD : Avez-vous observé des spécificités « féminines » de comportement ?

« Très franchement, j’ai vu tous les modèles de comportement social. J’ai eu des collaboratrices très rugueuses…Peut-être un trait de caractère que j’aime bien : les femmes sont certainement et globalement moins lâches et moins hypocrites que les hommes ! Mais pour le reste, la sensibilité aux autres, le fait d’être dans la bienveillance, je n’ai rien remarqué de tel… La vraie différence, c’est que les femmes ont longtemps été empêchées de s’exprimer et d’exprimer leur propre puissance – pouvoir de faire, d’organiser, d’arbitrer… C’est aujourd’hui possible. Toutefois, dans l’exercice du pouvoir, elles ne se comportent pas différemment de leurs homologues masculins, c’est ce que je constate ! »

VD : A quoi, selon vous, faudrait-il particulièrement veiller en matière de mixité ?

« Paradoxalement je pense à la surreprésentation féminine… C’est déjà le cas en école vétérinaire, dans les services à la personne et les dossiers qui concernent l’agriculture urbaine ou l’alimentation de qualité … Cette surreprésentation m’interpelle : où sont passés les hommes ? Il ne faudrait pas aller dans l’excès inverse en créant des environnements uniquement féminins. Il faut des équilibres pour éviter des déséquilibres. »

Mini sondage

???? Selon vous y a t-il des comportements “plus” féminins que d’autres ?

????La mécanisation est-elle un frein à la féminisation des métiers agricoles ?

????Avez-vous remarqué une surreprésentation féminine dans certains domaines liés à l’agriculture ?