Béatrice Moreau, agricultrice à Marson (51) est Vice-Présidente de la région GrandEst, après avoir été la première femme élue à la présidence de la Chambre d’agriculture de la Marne en 2019. Celle-ci aborde ici quelques-uns des challenges auxquels le monde agricole doit faire face en 2023

VD : Quelles sont les priorités de la région GrandEst pour 2023 ?

« Notre premier défi, c’est l’installation, c’est-à-dire l’entrée dans tous les métiers et pas seulement celui de chef d’exploitation. Le Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a lancé différentes consultations pour la Loi d’avenir agricole et la Loi d’orientation qui touchent à la formation et l’orientation, l’installation et la transmission et les transitions. L’orientation est donc essentielle. Il faut savoir expliquer tous les métiers agricoles avec un grand A et pas seulement évoquer l’alimentation…

VD : Concernant l’attractivité des métiers agricoles, quelle est la situation spécifique du GrandEst ?

Notre principal enjeu, c’est de rendre attractif l’élevage, dans la mesure où 50 % des éleveurs ont plus de 55 ans dans notre région. Et pour rendre attractif un métier, la clé, c’est d’abord la rémunération même s’il doit être aussi porteur de sens en intégrant les contraintes locales et familiales. Par ailleurs, nous devons également prendre en compte l’arrivée de « nouveaux venus ». Certains sont des passionnés d’élevage ; d’autres sont plus pragmatiques. Il va donc nous falloir adapter les conditions de travail et de vie à chaque type de profils.

VD : Comment appréhendez vous spécifiquement la pyramide d’âge qui menace les métiers agricoles ?

Tous les métiers (laborantin, mécanicien, semencier, etc.) ont la même pyramide d’âge que les métiers de production. Cela signifie qu’il va falloir remplacer tous ceux qui partent à la retraite dans les dix ans à venir. Notre challenge est double. D’une part, amener les jeunes à choisir le secteur agricole. Et d’autre part, penser aux moins jeunes car ces métiers peuvent parfaitement être envisagés lors d’une reconversion. Il y a peut-être encore de nouveaux ponts à créer entre l’éducation nationale et l’enseignement agricole. Par exemple, la mécanique agricole, c’est comparable à la mécanique auto. Somme toute, c’est la même formation. Quand on fait une formation mécanique, on devrait pouvoir choisir entre l’un et l’autre secteur…

VD : Quelles actions avez-vous mises en place sur votre territoire ?

Nous sommes justement en train de tester avec les concessionnaires agricoles de Champagne-Ardenne une formation spécifique pour les demandeurs d’emploi. Celle-ci est composée d’un enseignement théorique, basé sur les savoir-faire et savoir-être et d’une partie pratique en concession. Ce sont des modules d’une journée, ce qui permet de faire le tour des tâches attendues.

VD : Quel retour avez-vous de ces journées de formation ?

Il y a plusieurs points de vigilance. D’abord, les concessionnaires doivent organiser leur travail pour pouvoir accueillir les jeunes dans de bonnes conditions. Ensuite, ce n’est pas aisé pour les mécaniciens d’apprendre à transmettre leur savoir sur l’entretien des tracteurs et les outils agricoles… Le passage de technicien à formateur nécessite d’ être aménagé. Enfin, il faut que les demandeurs d’emploi soient « demandeurs » de ces formations. L’impulsion de Pôle Emploi est donc primordiale dans le sourcing des personnes. C’est un travail de longue haleine, mais nous avons beaucoup d’espoir !

VD : Comment voyez vous évoluer le rôle des agricultrices ?

Il nous faut apprendre à regarder les métiers agricoles par le prisme du féminin. Plusieurs pistes sont d’ailleurs à l’étude pour faciliter l’accès des métiers agricoles aux femmes … Pour accompagner les agricultrices, il existe aujourd’hui de nombreux dispositifs et des outils, subventionnés par la MSA. Il est donc indispensable de dire et faire comprendre que le métier a beaucoup évolué. Et surtout démystifier le fait qu’une agricultrice ne peut pas faire le même boulot qu’un agriculteur ! Par ailleurs, les agricultrices peuvent aussi jouer un rôle dans les territoires en complément de leur travail sur l’exploitation. Par exemple, comme secrétaire de mairie ou comme conductrices de bus scolaires. Nous y réfléchissons avec Sylvie d’Alguerre, Déléguée Egalité Femmes/Hommes de la Région GrandEst.

VD : On parle de plus en plus de crise de l’engagement dans la société et aussi des difficultés à prendre sa place dans le monde agricole quand on est un femme… Qu’est-ce qui vous fait “courir”, Béatrice Moreau ?

Je n’ai jamais mis en avant le fait que j’étais une femme et en responsabilités… Il y a une vingtaine d’année, un journaliste m’a demandé si ce n’était pas plus difficile pour une femme d’être agricultrice et en responsabilité que pour un homme ? J’ai répondu qu’ « à partir du moment où vous aviez des connaissances et des compétences, faire sa place dans le monde agricole, cela se faisait » !

Mes parents sont agriculteurs laitiers. Ma mère était très engagée dans Familles Rurales et mon père de son côté, à la MSA, dans la Coopération, les collectivités locales à divers degrés. Je suis allée bien au-delà de ce qu’ils ont fait et pour moi, cela va dans le sens de la construction de notre métier. Je ne me suis pas concentrée uniquement sur ma ferme. J’ai voulu participer aux organisations qui font bouger les choses. J’ai commencé dans le syndicalisme, d’autres s’épanouissent dans la coopération, dans le mutualisme, les associations locales. Je trouve qu’il faut trouver les lieux où l’on a envie de s’éclater… On ne peut pas rester centré sur son exploitation. Çà apporte quelque chose à l’exploitation mais surtout à soi-même car cela permet d’ouvrir les champs des possibles. Les mandats longs permettent de s’imprégner et de bien travailler en profondeur.

VD : Que pensez-vous de la mise en place de quotas pour permettre aux femmes de siéger dans une instance agricole comme c’est le cas dans les entreprises privées et en politique ?

Il existe dans les chambres d’agriculture un quota qui est d’un tiers. Je pense qu’il faut faire attention au pourcentage choisi pour le quota, car cela peut être bloquant si on n’a pas assez de candidates. Encore aujourd’hui, les femmes sont attendues sur la manière dont elles connaissent un dossier. Je pense que cela va passer… car les gens qui nous élisent, veulent des gens qui travaillent… il faut leur montrer qu’on les écoute et qu’on fait des choses si non ils ne reviendront plus voter ou voteront par dépit.