Le poète René Char affirmait : « Il n’y a que deux conduites avec la vie : ou on la rêve ou on l’accomplit. » A quarante ans, après un parcours universitaire d’ingénieur agronome à Lasalle Beauvais (Unilasalle) et une expérience professionnelle riche, Géraldine Marichal, éleveuse de poules pondeuses plein air en label rouge, a résolument choisi la seconde alternative ! Installée depuis deux ans sur la ferme de son mari, Géraldine, maman de trois enfants, a récemment bénéficié de la formation Farm’Her d’Hectar avec neuf autres consœurs du secteur agricole. Elle nous fait partager le feu qui couve en elle…

VD : Comme beaucoup d’agricultrices aujourd’hui, tu as vécu une autre vie avant de t’installer comme éleveuse… Comment ces quatorze années professionnelles ont-elles forgé ta conviction de t’installer ?

« Quand on sort de l’école et malgré les différents stages, le premier job permet de mettre en pratique tout ce que l’on a appris de manière théorique. On apprend à découvrir un univers, à hiérarchiser et à prioriser pour atteindre les objectifs donnés et bien sûr, à travailler en équipe. Et comme il faut faire ses preuves, j’ai appris à être efficace ! Jai surtout réussi à m’imposer, à m’affirmer… Cela n’a pas été évident, car je suis très timide. Être commerciale en agroalimentaire, c’est parfois hyper violent… Cela force à aller chercher au plus profond de soi pour s’adapter ».

VD : A la naissance de son premier enfant, son mari s’installe avec ses parents en Ile de France. Géraldine rentre alors comme conseillère agriculture au Crédit Agricole. Au bout de onze ans, elle a la sensation d’avoir fait le tour de son métier et de ne plus s’épanouir suffisamment. L’opportunité de construire deux poulaillers déclenche son envie de se lancer comme agricultrice ! Comment as-tu été sûre de ton choix de t’installer et d’ouvrir ton atelier de poules pondeuses ?

C’est un mélange de trois choses… D’abord, « j’ai la fibre élevage ! J’ai toujours aimé le contact avec les animaux… » Et puis, « travailler pour moi, cela correspond bien à mon tempérament… Après quatorze ans de salariat, j’éprouvais le besoin de récolter directement les résultats de ce que je produisais. J’étais lasse de dépendre d’autres services et des procédures internes…. Même si aujourd’hui en tant qu’éleveuse, je dois respecter de nombreuses contraintes administratives et sanitaires, je suis indépendante ! C’est très important pour moi d’être indépendante et d’assumer… Que ce soient les périodes difficiles comme les meilleures : quand ça va bien c’est 100 % pour moi et quand c’est difficile, il faut assumer et trouver des solutions ! Et enfin, ce que j’aime bien c’est la liberté de s’organiser. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus souple pour moi de m’organiser avec trois enfants que lorsque j’étais salariée.

VD : Déjà diplômée et installée depuis deux ans, pourquoi as-tu eu envie de faire une nouvelle formation, Farm’her, proposée par Hectar ?

« Suite à un désistement, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour réfléchir, j’ai saisi ma chance ! En plus c’était le bon moment : la première phase d’installation était derrière moi et je commençais à sortir la tête de l’eau… J’avais aussi le temps pour m’y consacrer, car c’est une formation qui demande du temps de présence et du temps personnel. Et puis, cette formation répondait à mon engagement personnel. Je me rends bien compte que les femmes n’ont pas aujourd’hui la place qu’elles devraient avoir dans l’agriculture. Dans les assemblées, très peu de femmes y assistent. De même, dès que l’on aborde des sujets plus politiques, les femmes sont quasiment absentes. C’est pareil pour les sujets économiques. En revanche, quand les questions sont d’ordre technique, notamment en élevage où il y a beaucoup d’éleveuses, elles sont bien sûr présentes, mais seulement dans les ateliers… »

VD : Chez VoxDemeter nous sommes très sensibles à l’exclusion presque “naturelle» des femmes des cercles de décisions agricoles… En disant « C’est mon mari qui s’occupe des questions économiques et du politique », les femmes du monde agricole délèguent à leur mari (frère ou père) les connaissances et les décisions au niveau local, mais surtout au niveau national et international… Cela contribue insidieusement à entériner un statut quo qui ne leur permet pas (assez) de faire entendre leur voix. Il est temps de faire bouger les lignes ensemble ! C’est notre conviction. Et pour cela, il faut des role model ! Géraldine, les sujets éco-politico-financiers de l’agriculture t’intéressent-‘ils ? Tu serais prête à prendre (ta) place ?

« Ah Oui !!!!! Je fais déjà partie d’une association d’éleveurs pour me tenir informée du marché, de l’activité, moi j’ai vraiment envie d’être au courant de mon marché : je ne veux pas être passive !

VD : La formation Farm’her s’inscrit dans cette envie ?

Oui, elle a fait germer des petites graines en moi, des envies mais je ne sais pas encore – c’est trop frais – comment je vais utiliser cette formation à l’avenir. Cela m’a permis de mettre des mots sur des situations, des problématiques. Et aussi donné l’occasion de nous rencontrer entre femmes, de nous dire des choses qu’on ne peut dire quand il y la concurrence des hommes et leur regard

VD : Qu’est-ce qui t’a le plus étonnée ?

“Nous étions une dizaine de femmes du monde agricole, venues de toute la France avec des parcours différents (agricultrices et salariées en entreprise) Pourtant il y a beaucoup de points communs entre nous, car nous évoluons dans un milieu très masculin. Nous nous sommes rendu compte que nous devions user de stratagèmes pour faire notre place… être NI paillasson NI hystériqueIl faut tout de suite avoir la bonne attitude, la bonne parole …”

VD : Qu’as-tu apprécié en particulier ?

« C’est une formation qui permet de pointer les forces de chacune en faisant ressortir ses singularités. Elle nous a permis de mettre en exergue nos talents respectifs et de les mettre en parallèle avec les attentes, les besoins des organisations. Il apparaît que les femmes sont plus actrices des transitions et qu’elles ont le plus souvent une vision à long terme. De surcroît, elles parviennent à mieux gérer les crises.. Elles ont donc toutes leur légitimité » [dans une enceinte de décisions].

VD : Gérer les crises, c’est l’une de tes compétences, non ?

« Oui quand on est éleveur, on est forcément confronté à des difficultés avec son entreprise et surtout ses animaux : il n’est pas possible de rester passif. C’est dans ces cas-là aussi, où on a besoin des autres : le réseau est important : les autres éleveurs, le vétérinaire, etc. On ne peut pas tout faire tout seul…

VD : On sent que pour toi, il y a vraiment un avant / après la formation Farm’Her, je me trompe ?

« On ressort de cette formation avec le sentiment qu’on a quelque chose à apporter à la filière et que l’on peut faire plein de choses… avec nos différences, nos singularités. Oui, cela me donne envie de faire plein de choses ! Bien sûr, on est vite rattrapé pas son quotidien, mais, il faut savoir flécher son énergie, son temps sur des actions qui nous motivent.

VD : Comment as-tu envie d’utiliser ton énergie, tes compétences et tes qualités ?

« Je me suis rendu compte que j’avais envie de communiquer sur mes choix d’éleveuse et que j’étais fière de mon métier, de ma production. C’est notre rôle d’hommes et de femmes de l’agriculture.

VD : Et en particulier, tu te verrais faire quoi ?

Moi, j’aimerais bien… j’aimerais bien – mais je m’interroge sur ma disponibilité – intégrer une interprofession sur ma filière pour faire des propositions, pour emmagasiner des informations, rencontrer des gens, d’autre éleveurs : participer et contribuer, je ne veux pas d’une contribution de façade ».