Quel plaisir d’avoir pu échanger avec Sébastien Neveux, agriculteur dans l’Yonne ! Conscient de la lente évolution du monde agricole en matière d’intégration des femmes en tant que dirigeante d’exploitation à part entière, celui-ci nous fait partager sa vision d’une agriculture à conjuguer au féminin ET au masculin. Convaincu de la place centrale des femmes dans les métiers du Vivant, Sébastien nous amène à considérer leur plein empowerment* comme l’un des bénéfices directs pour l’agriculture et notre société. En résumé, l’agriculture 3.0 ou 4.0 c’est ensemble qu’elle se construit, ni contre les hommes ni sans les femmes !
Bio express :
Pendant plusieurs années, Sébastien a exercé comme conseiller Cerfrance dans différentes régions. Depuis 2019, il dirige une exploitation céréalière à Rugny (89) avec trois associés. Engagé au niveau local et syndical, il vient de créer une seconde société avec cinq autres associés et travaille également en CUMA avec cinq voisins. Si cette organisation permet d’alléger les contraintes climatiques, réglementaires et économiques, force est de constater qu’il n’y a aucune agricultrice, associée ou pas encore…
VD : La famille est considérée comme le socle naturel du modèle agricole français. Est-ce toujours vrai aujourd’hui ?
Notre structure est d’origine familiale, mais en fait, elle ne l’est plus, car nous sommes plusieurs associés. Pour moi, c’est ça, le futur de l’agriculture… Le passé nous a servi à être dans le présent, mais il faut réinventer le modèle. Si on avait su donner une place dans les exploitations aux femmes avec un statut à part entière de décideuses versus travailleuses, on n’aurait pas la même agriculture qu’aujourd’hui… L’agriculture aurait été beaucoup plus riche, car plus diversifiée et nous serions sans doute aussi, plus proches des consommateurs et des territoires.
VD : Selon vous, qu’est-ce qui a manqué ou manque encore pour créer une agriculture plus ouverte, plus inclusive ?
En tant qu’agriculteurs, nous avons beaucoup travaillé notre image de « professionnels », on s’est beaucoup spécialisés… Nous en avions besoin, mais on s’aperçoit maintenant que cette image-là n’est pas la bonne vision, qu’elle nous dessert même… [Je suis convaincu, que] si nos mères, nos sœurs, nos femmes avaient été plus à nos côtés, nous ne serions pas obligés aujourd’hui de faire autant d’efforts pour comprendre les attentes des consommateurs et y répondre et c’est dangereux… c’est même pire que dangereux, car il n’y a plus d’interactions. Regardez en viticulture, c’est dans ce secteur que l’on trouve le plus de femmes, car on les a laissées prendre leur place dans les activités de transformation et de commercialisation. Le résultat c’est qu’aujourd’hui, on parle de « vin fait par des femmes » !
VD : Comment les femmes en agriculture peuvent-elles mieux prendre leur place ?
La formation tient un rôle très important. Les femmes ont souvent accédé à la formation à la place de leurs maris, qui pensaient ne pas en avoir besoin… Or, aujourd’hui quel que soit le statut, il faut « la » bonne formation et ce sont, bien souvent, les femmes qui la possèdent et pas leur conjoint ! On assiste à une inversion des schémas du passé.
Ce qui me semble primordial, c’est que les femmes doivent être intransigeantes sur leur statut, leur autonomie en termes de prise de décision. Elles doivent veiller à être associée à part entière, avoir la responsabilité d’un atelier et être en capacité de contribuer visiblement à la création de valeur de l’entreprise. Cette dernière compétence, elles doivent l’acquérir si elles ne la possèdent pas encore. Elles seront alors essentielle au même titre que les autres associés. Mais c’est peut-être une vision d’homme…
VD : Qu’est-ce qui vous gêne ou vous agace en particulier ?
Si je regarde en arrière, ma mère était co-exploitante, donc reconnue par la MSA *** comme « femme d’agriculteur », puis, elle a eu le statut de « « conjoint collaborateur. En fait souvent, on prenait le statut le moins cher… Le statut d’associé, comme ça coutait plus cher, on ne l’utilisait pas… Cette manière de faire a eu des conséquences graves pour les femmes : des retraites au lance-pierres et lors des divorces, la double peine ! Ainsi, en fonction de la carrière professionnelle, entre 35 et 40 ans, « on indiquait souvent Madame comme associée », car on avait plus les moyens et en écrasant les revenus, on n’avait pas la MSA à payer… Au fur et à mesure des années, on demandait à Madame de modifier son statut… Et bien souvent, Monsieur se mettait à la retraite et Madame récupérait alors le statut d’agricultrice sans pouvoir en exercer réellement l’autorité…
Ce mode opératoire a toujours reposé sur des besoins mais pas sur des envies ! Les vrais « coupables », ce sont les comptables, les centres de gestion qui ont toujours eu une approche « gestion de coûts et pas une approche entreprise » ne considérant pas le couple mais seulement Monsieur… Ils ont fait du conseil selon le prisme des contraintes économiques mais pas pour amener le couple d’exploitants agricoles à réfléchir … Donner un statut à Madame, c’était aussi la faire évoluer et ça… Par ailleurs, les syndicats n’ont pas non plus été très empressés à faire évoluer les femmes, car ce n’étaient pas elles qui étaient à la tête des exploitations, ce n’était donc pas elles qui adhéraient… Cela fait à peine quinze ans que cela bouge et notamment avec des femmes comme Cathy Faivre-Pierret**.
VD : Comment peut-on expliquer qu’il y ait peu d’agricultrices en grandes cultures ?
C’est certainement notre attitude de mecs… C’est vrai, les femmes choisissent – entre 25 et 45 ans – les métiers les plus durs… notamment le maraichage, l’élevage qui sont plus exigeants, plus usants… Le problème vient bien de l’image et du comportement des hommes : les céréaliers ont autant de filles que les autres agriculteurs, mais ils « éliminent » leur candidature naturellement au profit de leurs fils… Ou bien, ce sont elles qui s’éliminent d’elles-mêmes en choisissant de ne pas reprendre la ferme familiale. Alors que je considère que le métier de céréalier est bien plus cool…
VD : Les agricultrices sont fières de leur statut de cheffe d’entreprise, mais souvent il s’agit d’une case administrative qui est cochée sans rendre compte de la dimension « entreprendre, décider et participer à la stratégie » Comment faire pour que ce statut colle à la réalité des femmes ?
C’est donc important de définir les termes, car en restant dans le flou, impossible de mesurer les écarts éventuels de compréhension… Il est alors plus difficile de prendre des décisions concertées. Pour autant, toutes les femmes ne tiennent pas toutes au statut de cheffe d’entreprise… Pour certaines, ce qui est le plus important, c’est d’être indépendante et d’exercer leur métier de maraîchère par exemple… Chef d’entreprise, cela peut être considéré pour d’autres comme un concept bourgeois, plutôt masculin et qui manque de « collectif » comme de « féminin »… Je me demande s’il ne faudrait-il pas inventer la notion d’entreprendre au féminin ? Pour moi, quand je parle de « cheffe d’entreprise agricole », j’entends « décideuse » puisqu’elle prend des risques et choisit ses investissements. On pourrait aussi utiliser le terme de gérante qui renvoie à associée…
*Empowerment est un concept traduit par « autonomisation » auquel je préfère l’expression « pouvoir d’agir »
**MSA (Mutualité Sociale Agricole), a Sécurité sociale des agriculteurs
***Cathy Faivre-Pierret est éleveuse dans le Doubs et Présidente de la Commission des Agricultrices de la Fnsea
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